Céline Gréco : "Protéger l’enfant, c’est protéger l’avenir !"

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Mise à jour le 05/05/2025

portrait de Céline Gréco
Mardi 6 mai aura lieu la cérémonie de pose de la première pierre du futur Centre d’appui à l’enfance Asterya, dans le 12ème arrondissement, sur le site de l'ancienne école Netter. Ce centre unique en France proposera dès septembre 2025 un accompagnement médical, mais aussi scolaire, culturel et d'insertion professionnelle à 2.000 enfants suivis par l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE). Rencontre avec Céline Gréco, professeure de médecine à l'hôpital Necker– enfants malades, présidente de l’association IM'PACTES et porteuse de ce projet novateur.
Bonjour Céline Gréco. Pouvez-vous vous présenter à ceux qui ne vous connaitraient pas encore ?
Je suis professeure de médecine, cheffe du service de médecine de la douleur et de médecine palliative à l’hôpital Necker – enfants malades à Paris, je dirige une équipe de recherche à l’Institut Imagine. Ça c’est pour la partie professionnelle. Sinon, à titre personnel et bénévole, je suis la présidente de l’association IM’PACTES qui est porteuse du projet de Centre d’appui à l’enfance Asterya dont nous allons poser la première pierre le 6 mai prochain sur l’ancien site de l’école Netter, dans le 12ème arrondissement.
Ce projet est l’aboutissement de votre engagement dans la protection de l’enfance. Pouvez-vous nous expliquer votre cheminement et notamment la création de l’association IM’PACTES ?
IM’PACTES est une association qui œuvre dans le domaine de la protection de l’enfance, secteur dans lequel je me suis engagée en 2013, avec la sortie de La Démesure, un livre que j’avais publié sous pseudonyme alors que j’étais interne en médecine et dans lequel je racontais mon histoire. J’ai été une enfant victime de violences familiales pendant plus de dix ans avant d’être placée à l’Aide Sociale à l’Enfance à l’âge de 14 ans. Si ce placement m’a sauvé la vie, j’ai néanmoins subi des failles du système de la protection de l’enfance de l’intérieur avant de les constater à nouveau professionnellement, une fois devenue étudiante en médecine, car je n’ai quasiment pas bénéficié de formation sur la prévention, le repérage et la prise en charge des enfants victimes de violence.
Je me suis alors demandée ce que je pouvais faire pour changer les choses à mon niveau. L’action nécessitait une forme de médiatisation. C’est pour cela que j’ai publié La Démesure. Ce livre m’a permis de participer à des conférences destinées au grand public, aux travailleurs sociaux, au personnel de la justice, aux agents de département, tous ces acteurs engagés dans la protection de l’enfance. Cette exposition m’a aussi permis de rencontrer Laurence Rossignol, la ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes à ce moment-là et de travailler grâce à elle à l’élaboration de la Loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. De cette loi est né le Conseil National de la Protection de l’Enfance (CNPE) au sein duquel j’ai été élue au bureau en tant que personnalité qualifiée. J’y ai monté une commission Santé de l’enfant en protection de l’enfance qui a rapidement proposé de mettre en place des équipes mobiles hospitalières référentes en protection de l’enfance et chargées de faire de la prévention auprès des services, de les aider à mieux repérer les enfants en amont.
Ce projet partait d’un constat simple : seuls 3% des 300.000 passages aux urgences des hôpitaux parisiens Necker, Trousseau et Robert Debré en 2019 avaient fait l’objet d’un signalement, alors que les études estiment à 14% la part d’enfants victimes de violences dans les pays à haut niveau de revenu comme la France. Cet écart de 11% quantifiait à lui seul les insuffisances de la détection. La solution des équipes mobiles que nous mettions déjà en œuvre en médecine de la douleur m’est apparue la plus adaptée. En créant une équipe hospitalière référente en protection de l’enfance, nous voulions créer une offre destinée à répondre à la demande des équipes des différents hôpitaux en cas de doute sur un enfant. Ce projet a pu voir le jour lors de ma rencontre avec Brigitte Macron lors de sa visite aux enfants pris en charge par le service douleur et soins palliatifs que je dirigeais. J’ai profité de cet échange pour attirer son attention sur les besoins des enfants victimes de violences et sur notre projet d’équipes mobiles susceptibles d’y apporter une réponse. C’est comme cela que nous avons obtenu le financement, par la Fondation des Hôpitaux, des sept premières équipes mobiles référentes en protection de l’enfance pour les Hôpitaux Necker, Trousseau, Robert Debré, Jean Verdier en Seine-Saint-Denis, au Kremlin-Bicêtre dans le Val-de-Marne, à Brest et à Grenoble.
La même année est sortie une instruction de la Direction Générale de l'Offre de Soins (DGOS) demandant la création d’une Unité d'Accueil Pédiatrique Enfant en Danger (U.A.P.E.D) par département. Cela m’a permis de transformer toutes ces équipes mobiles en UAPED. Ce n’est pas qu’un changement de nom, c’est aussi et surtout une pérennisation de ces unités. C’est à ce moment que j’ai eu l’idée de fonder IM’PACTES. J’avais l’intime conviction que si nous arrivions à faire la preuve de l’efficacité de programmes d’accompagnement à la scolarité, d’accès à la culture, à l’insertion professionnelle ou encore d’amélioration de la santé des enfants pris en charge à l’Aide Sociale à l’Enfance, alors ces programmes pourraient devenir une politique publique. L’association IM’PACTES est née en 2022 avec deux domaines d’action. Le volet santé d’abord, parce qu’on sait que les jeunes victimes de violences ou de négligences graves perdront 20 ans d’espérance de vie s’ils ne sont pas pris en charge précocement ; mais aussi un volet scolaire, culturel et d’aide à l’insertion professionnelle de 0 à 25 ans, pour libérer les jeunes pris en charge en protection de l’enfance du déterminisme auquel ils semblent condamnés. Il faut se rendre compte que moins de 13% d’entre eux passent le brevet des collèges, que seuls 5% se présentent à un baccalauréat général, et qu’ils constituent près de 45% des sans abri de 18 à 25 ans. C’est un gâchis humain insupportable ! IM’PACTES est donc née de cette période de réflexion et d’action de presque dix ans.
Accompagnement de santé mais aussi scolaire, culturel et en insertion professionnelle… Ce sont aussi les deux piliers du projet Asterya, ce centre d’appui à l’enfance, premier du genre en France, dont vous allez poser la première pierre le 6 mai prochain sur l’ancien site de l’école Netter, dans le 12ème arrondissement.
Exactement. A l’origine, nous n’avions pas pensé rassembler ces deux domaines d’action en un seul lieu. Grâce à IM’PACTES, nous proposons déjà du parrainage, du mentorat, soutien scolaire, de l’expression artistique, du théâtre ou encore de la bibliothérapie dans 110 maisons d’enfants franciliennes. Nous organisons beaucoup de sorties culturelles, nous mettons en place du parrainage, du mentorat et du tutorat, mais aussi pour les presque jeunes majeurs, des séminaires pour les préparer à l’autonomie, le financement de leur permis de conduire, des bourses d’études ou des bourses d’aide à l’installation avec l’idée de permettre à ces jeunes de se projeter dans les études de leur choix et la vie active. Que les aides dont ils bénéficient ne s’arrêtent pas dès qu’ils ont dix-huit ou vingt et un ans.
La nouveauté de ce centre d’appui à l’enfance Asterya, c’est que nous allons rassembler pour la première fois la prise en soin et l’accompagnement scolaire, culturel et d’insertion professionnelle en un seul et unique lieu. L’ancienne école maternelle Netter va accueillir le centre de santé, tandis que l’espace libéré par la destruction des préfabriqués va être occupé par un jardin et un pavillon abritant un restaurant d’insertion dans lequel les enfants qui le souhaitent pourront être formés aux métiers de bouche et de l’hôtellerie. A l’étage du pavillon, on trouvera les locaux de l’association, mais aussi un espace destiné à l’accompagnement des enfants déscolarisés. Proposer en un unique lieu ces trois domaines d’accompagnement que sont la scolarité, la santé et l’insertion professionnelle, c’est une grande première en France. Nous avons pour objectif d’avoir chaque année une file active de 2.000 enfants suivis dans ce centre.
Ce type de centres existent pourtant depuis quelques années dans d’autres pays, comme les Etats-Unis, le Canada ou en Allemagne.
Effectivement. Je me suis inspiré des modèles de centre d’appui à l’enfance canadiens, mais également de celui fondé à San Francisco par Nadine Burke Harris, une pédiatre américaine pour qui j’ai beaucoup d‘admiration. Ce sont notamment ses travaux qui ont mis en évidence le lien entre l’altération de la santé des enfants victimes de violence et leur échec scolaire et qu’un accompagnement somatique, psychique mais aussi scolaire précoce permettait d’augmenter de manière spectaculaire leur capacité à réintégrer un parcours « classique ». Notre projet s’en inspire directement.
Cette prise en charge complète des enfants qui est au cœur du projet de centre d’appui Asterya fait écho au projet « d’arrondissement à hauteur d’enfant » porté par Emmanuelle Pierre-Marie, la maire du 12ème arrondissement, avec l’idée qu’un environnement pensé pour protéger les enfants est bénéfique à tout le monde.
C’est une vision à laquelle j’adhère complètement et qui devrait être portée au niveau national. Notre slogan à IM’PACTES, c’est « Protéger l’enfant, c’est protéger l’avenir » ! D’un point de vue strictement financier, les difficultés de santé à l’âge adulte ou d’insertion professionnelle des enfants qui ont subi des violences et qui n’ont pas été pris en charge coûte in fine 38 milliards d’euros par an à la France. Les conséquences sont aussi vertigineuses sur le plan humain.
Les violences faites aux enfants sont associées, de manière « dose-dépendante » aux pathologies les plus courantes et les plus graves auxquelles nos sociétés sont confrontées. Il est bien décrit maintenant que les enfants victimes de violences et non pris en charge sur le plan de leur santé physique et psychologique sont des adultes qui perdent 20 ans d’espérance de vie du fait de la survenue plus fréquente à l’âge adulte de maladies cardio-vasculaires (Odds Ratio 2.1), de cancer (OR 2.3), d’insuffisances respiratoires (OR 3.1), d’AVC (OR 2), de démences (OR 11.2), de diabètes (OR 1.4), de tentatives de suicides (OR 37.5). Ces violences subies sont également associées à des problèmes humains, sociaux et sociétaux majeurs comme les troubles des apprentissage (OR 32.6), du développement et des comportements, de déscolarisation (OR 7.2), d’abandon des études secondaires, de chômage, de pauvreté, de situation de rue, de délinquance, sources de répétition intergénérationnelle des violences subies. Les insuffisances de la prise en charge médicale, sociale, scolaire et culturelle ont un impact profond sur l’ensemble de notre société. Il est temps d’y remédier.
Ces dernières années, la prise de conscience de la nécessité de mieux lutter contre les violences faites aux femmes a beaucoup progressé dans la société. C’est une excellente chose, mais ces progrès demeureront vains tant que nous ne lutterons pas suffisamment contre les violences faites aux enfants en amont. Je suis persuadée qu’une meilleure prise en charge des enfants à qui on est capable de d’offrir une meilleure santé et un meilleur avenir participe d’une société plus tolérante et en meilleure santé. Les enfants et leur souffrance ont suffisamment été invisibilisés. Les premières études scientifiques de Vincent J. Felitti qui démontrent qu’un enfant victime de violence perd 20 ans d’espérance de vie datent de 1998 ! En France, la recherche sur les violences subies par les enfants est très insuffisante. On ne sait toujours pas combien d’enfants périssent chaque année sous les coups de leurs parents dans notre pays, alors que les chiffres des féminicides, eux sont connus. Nous ne partageons même pas le référentiel commun de « adverse childhood events » utilisé par la plupart des pays qui étudient le phénomène ! Nos données ne sont donc même pas comparables avec celles des autres pays. Comment peut-on envisager de créer une politique de prévention d’un problème que l’on est incapable de mesurer ?
Le projet de centre d’appui Asterya devrait permettre de faire avancer cette connaissance ?
Nous voulons contribuer à renverser la tendance et quantifier ce phénomène, à regarder en face la situation réelle de ces enfants. Notre projet de centre d’appui nous permettra de dresser un état des lieux exhaustif de la santé des enfants que nous y accueillerons. Quel a été leur parcours de vie, quel est leur situation scolaire, quel est l’impact du centre sur leur parcours ? L’objectif, c’est que dans dix ans, il existe un centre d’appui de ce type par région, que chaque enfant qui est pris en charge par l’ASE bénéficie d’un bilan de santé à l’admission dans le dispositif de protection de l’enfance puis d’un parcours de soin coordonné et gradué. Aujourd’hui, seuls 25% d’entre eux en bénéficient. Et seulement 10% ont droit à un suivi médical. Cela fait dix ans que j’agis pour changer ça. L’ouverture de ce premier centre d’appui à l’enfance de France prévue dès septembre 2025 va être une étape importante.